THAÏLANDE | La pérennisation du marché du vin : entre challenge et obstacle (Partie 1)

On a décidé de rencontrer l’équipe du Granmonte Vineyard pour essayer de comprendre encore ce qu’il se passe niveau vin en Thailande. Pour la petite histoire, le domaine a été acheté par un couple de thaïlandais en 1999. Douze Hectares au pied de la montagne du Khao Yai National Park. Un paysage idyllique à première vue, mais un peu moins pour la vigne.

Nous avions déjà évoqué les problèmes que rencontrent les vignerons dans des climats tropicaux (cf. article sur Le domaine D’aythaya en Birmanie), et qu’il était compliqué d’y produire de bons vins : humidité, chaleurs, peu de cépages adéquats et maladies fréquentes.

Nikki, fille du fondateur et pilier de l’exploitation :

On a beaucoup apprécié Nikki. C’est une femme d’une petite trentaine d’année, très affairée mais qui prendra toujours le temps de répondre à toutes vos questions. Ses yeux balayent le domaine familial et rien ne lui échappe.  Elle connaît par cœur sa terre, ses vents, ses vignes, ses employés, leurs gestes… Elle est la « star » de ce vignoble, car c’est elle qui a donné toute la grandeur au domaine de son père. C’est elle qui pour la première fois en Thaïlande a produit le premier vin qualitatif à base de raisin exclusivement issu de leurs vignes. Et, elle n’a pas fini de nous surprendre ! Plus jeune, elle voulait être botaniste mais en grandissant près des vignes de son père, elle ne pouvait qu’en tomber amoureuse. Pour ses études supérieures, Nikki s’est orientée dans un Bachelor proposant autant une formation de viticulteur que d’œnologue à l’Université d’Adélaide en Australie. Après avoir effectué plusieurs stages, elle est revenu sur sa terre et lui a apporté une toute nouvelle vision : plus innovante et plus impliquée. Nikki est une passionnée passionnante, une sorte de génie et qui ne s’arrête jamais ! Tous les ans, elle part pendant 3-4 mois pour travailler chez d’autres confrères dans le monde entier. Elle a soif de savoir et ne manque pas de projet. Elle est toute dévouée à ses vignes et tient à en tirer le meilleur du meilleur. Contrairement aux vignerons que l’on peut rencontrer, elle a une approche très européenne. Tout ce que l’on donne à la vigne, le vin nous le rendra. Au-delà de son tempérament de challengeuse, elle est aussi formatrice. Vous trouverez dans son domaine un personnel très qualifié. Pour certains, la magie du vin a opéré et on le note tout de suite dans la façon dont il expose les gammes et vins. La vallée où se trouve le domaine est surnommée aussi « Toscany valley »… C’est un petit bout d’Europe perdu en Thaïlande que Nikki a réussi à construire.

On trouve, aujourd’hui, au Granmonte des vignes de vingt ans qui ont l’air de bien s’être acclimatées : Syrah, Cabernet Sauvignon, Durif, Verdelho, Chenin Blanc, Viognier, Semillon, et bien plus ! Déjà vingt ans, et pourtant, le domaine est toujours en recherche, en remise en question. Pas de manuel pour la vigne tropicale, alors Nikki expérimente constamment : Sangiovese, Barbera, Touriga Nacional, Cabernet Franc, Pinot gris. Les vignes poussent sur un sol d’Argile Rouge, de Loess et de Sable, qui draine bien l’eau et rafraîchit les sols. Les montagnes autour aident aussi à garder une certaine fraicheur et une bonne aération tout en protégeant des pluies tropicales.

Pour accompagner leur démarche, Granmonte se sert d’un logiciel permettant de surveiller l’exploitation en sectorisant par capteur le domaine. Cela met en évidence les différents microclimats ambiants. Cette technologie permet d’anticiper certains problèmes et mettre en place des actions sur telles ou telles parcelles. En France, pour suivre l’évolution de la vigne, ou l’acidité des raisins par exemple, la plupart des vignerons font appel à des laboratoires extérieurs qui leur fournissent ensuite des rapports. Ici, en Thaïlande, le marché viticole n’est pas encore bien développé, et donc il n’y a pas de laboratoires proposant ce type de services. Le domaine en a donc construit un, pas loin de la salle de vinification. Un investissement important mais qui paye, car cela permet aux équipes de surveiller quotidiennement leurs Ph.

Et, quand on parle des « problèmes tropicaux » de la vignes avec Nikki, elle sourit et en bonne challengeuse nous répond : «  Je ne pense pas que ce soit si problématique que ça, il faut juste être très attentif, chercher des solutions et innover ». Certains domaines tropicaux traitent leurs vignes à outrance contre les insectes et les champignons. Ici, « On a peu de problèmes avec les insectes : ils ont toute la jungle autour pour se nourrir alors la vigne ça les intéresse peu. Bien sûr, des champignons peuvent venir perturber la vigne, surtout quand il pleut ». Contre ces derniers, ils favorisent l’aération : « en plus des vents de la vallées, on laisse environ un mètre entre chaque pied, puis deux mètres entre chaque rangée ». De même, les vendanges sont faites de nuit pour éviter l’oxydation des raisins permettant de conserver la fraicheur des vins. De plus, cela permet de vendanger moins laborieusement puisque les vendanges se font manuellement.

La vinification traditionnelle se fait ici, avec des barriques neuves en majorité françaises mais aussi américaines et hongroises. En grande exploratrice, Nikki teste également la vinification en Kvevris, pratique ancestral qui vient de la Géorgie. Les Kvevris sont des jarres d’argile en forme d’œufs, faisant entre 100L et 300L. On y presse les raisins, tout en y laissant les peaux et les pépins… Quand technique ancestrale méditerranéenne rencontre la jeune viticulture thaïlandaise, c’est un défi culotté. Nikki lance aussi l’initiative de produire le premier vin bio de Thailande à base de raisins issus uniquement de son domaine. Un autre très joli défi!

Granmonte offre une gamme assez large de vins : 9 au total dont 3 blancs, 1 rosé, 4 rouges et 1 effervescent. Nous avons eu la chance de pouvoir déguster:

  • Granmonte Gradient Blanc 100% Verdelho

  • Granmonte Sakuna Rosé 100% Syrah

  • Granmonte Heritage Rouge 100% Syrah

  • Granmonte The Orient Rouge 100% Syrah

On en retient les deux Syrah Rouge : la cuvée Héritage, où l’on découvre avec étonnement fraicheur des fruits rouges et finesse des tanins. La cuvée « The Orient », elle, se distingue par son caractère bien tranché : les tanins sont plus marqué, les fruits plus confiturés et les notes poivrées sont bien là. Un délice. Puis en dégustation personnelle, au restaurant du domaine, on n’a pas pu dire non au Granmonte Crémant Extra-Brut Méthode Traditionnelle, l’effervescent 100% Chenin du domaine qui étonne, éveille et ravie nos papilles : fruits frais d’agrumes et de poire, un gras beurré nous rendant presque nostalgique, et une finale fraiche, vive, sur l’acidité.

Bravo !

Comme en Birmanie, la législation du pays ne favorise pas les vignerons Thaïlandais.

Il y a 40 ans, quand il n’y avait pas de vins Thaïlandais, il existait des taxes importantes pour les importations de vins considérés comme un produit de luxe. Aujourd’hui, celles-ci n’ont toujours pas changés et s’appliquent aussi sur les vins produits en Thaïlande. De plus, il faut ajouter des taxes que le pays impose aux boissons alcoolisées et qui augmentent tous les ans. Nikki nous informe que, parallèlement, les « boissons à base de vin » (les vins de fruits) bénéficient de taxes beaucoup moins élevées, et qui baissent encore chaque année. Et « Cela détruit littéralement le marché » :

  • Les consommateurs assimilent le vin à ces mauvaises boissons et très sucrées, car indications très très discrète sur l’étiquette sur la présence de fruit.

  • Les prix sont tirés vers le bas, car les fruits tropicaux coûtent beaucoup moins cher à produire que du raisin.

Le vide juridique incite également certains domaines viticoles que nous ne citerons pas, à vendre du « vin thaïlandais » fais à base de jus Australiens ou Espagnols. Malheureusement, l’ensemble de ces pratiques n’aide pas l’essor du vignoble Thaïlandais. En plus des taxes, les coûts que l’on connaît, liés à la production d’un vin de qualité, sont importants, et ne poussent pas les vignerons à leur essor qualitatif.

Comment protéger le secteur d’industriels frauduleux ? Comment pérenniser le marché en Thaïlande?

Pour le côté officiel, la Thaïlande a créé l‘association de vins Thaïlandais. Cette association travaille principalement sur l’aspect légal de la production, de l’étiquetage et de tout ce qui pourrait valoriser les vins thaïlandais. Cependant, il est impossible de communiquer sur le territoire national puisqu’il existe une sorte de loi Evin plus stricte qui les en empêche. On découvre aussi, avec surprise, à quel point les vignobles thaïlandais sont avancés sur l’oenotourisme : Sorte de formule « all inclusive » avec restaurant, café, boutique, terrasse avec vue… Ballades à dos d’éléphants, dîner dans les vignes, fête des vendanges, … Une clientèle locale mais aussi asiatique (les japonais, par exemple) sont très friands de ce genre d’expérience. Et, malheureusement parfois au détriment d’un réel intérêt pour le vin. La consolidation de ce marché ne pourrait se faire sans le re-vendeur final : l’hôtelier, le restaurateur qui éduque, à la fois ses employés, et ses clients, tout en vendant les bouteilles de vins sélectionnées: un verre, une bouteille, pour l’apéritif ou en accord mets & vins. Dans notre prochain article,  nous vous relayerons notre rencontre avec Georges Ciret, ancien Directeur d’Hôtel pour le groupe Accor, aujourd’hui Wine Director dans un Palace à Phuket. A CONSULTER ICI

Aurore DEBRUYNE & Charly GANEM
Co-fondateurs du Projet Coqovin – Tour du Monde Gastronomique et Viticole Diplomés en Master Management de la Gastronomie et de l’Oenologie

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