Michel SARRAN** : un chef au Top

Si les gourmets initiés connaissaient déjà Michel Sarran, c’est au grand public, grâce à son appartenance au jury de l’emblématique saison 6 de « Top Chef », de découvrir maintenant ce chef doublement étoilé d’une des plus belles tables toulousaines. Une mise en lumière qui plonge le gersois franc et entier, à l’émotivité latente, dans le tourbillon médiatique. Malgré une première approche réussie sur La 5 pour une émission un brin ébouriffante de « Cuisine sauvage » (il se débrouillait seul en forêt), l’idée initiale de « passer à la télé » ne l’avait pas vraiment enthousiasmé : un emploi du temps bien rempli, l’ignorance de l’univers audiovisuel, le stress lié à la caméra, autant de raisons rédhibitoires face à cette aventure télévisuelle. Encouragé cependant par son confrère Christian Constant, les arguments de la production et son goût pour le challenge ont eu raison de ses réticences. Bien lui en a pris : son exigence enthousiaste et son autorité bienveillante font merveille ! Il crève l’écran. Lui-même avoue aujourd’hui ne pas regretter cette participation « riche de rencontres humaines et d’émotions culinaires » et ne se lasse pas de dire son bonheur d’avoir noué des relations amicales avec les autres membres du jury ,à commencer par Helène Darroze, originaire de Langon, à peine une trentaine de kilomètres de son village natal de Saint-Martin d’Armagnac. Une sacrée « payse » comme on dit en Gascogne, connue internationalement, qu’il ne connaissait pourtant que par médias interposés ! Un coup de cœur affectif et réciproque au point que, généreuse et conviviale, Hélène désormais « une sœur ! » l’entraîne dans sa bande d’amis, la plupart célèbres. Ainsi a-t-il dernièrement assisté dans la loge VIP au dernier concert des Canailles : Johnny, Eddy et Dutronc. Si Philippe Etchebest reste la star du tournage et Jean-François Piège le grand sage, les joyeux compères ont partagé les dénominateurs communs à leur cher Sud-Ouest : l’amour de la gagne et celle du rugby « même si, gabarit oblige, sur le terrain, je ne les défierais pas ! » précise en riant le Toulousain qui s’est merveilleusement adapté à l’atmosphère des studios, tout en partageant grandement l’émotion des candidats (la larme à l’évocation de la mort du père de la candidate, deux ans auparavant, faisant écho douloureux au décès de sa maman).

« Pour notre nouveau juré, la cuisine est un moyen d’expression par lequel le cuisinier raconte son histoire, ses passions, sa vie »

La sienne, puisée dans la savoureuse authenticité des tablées de l’enfance armagnacaise a pris des chemins de traverse en baguenaudant en médecine, jouissant de l’insouciance de la vie étudiante toulousaine avant de rejoindre l’auberge familiale orchestrée par la fameuse maman Pierrette, experte es casseroles : « Au gré des saisons, elle cuisinait dans leur plénitude des produits simples et locaux, légumes du jardin, champignons des bois, truite de rivière, poulet de ferme, porc engraissé, veau sous la mère (l’ancêtre de l’allaiton d’aujourd’hui, qui figure en bonne place sur sa carte, voir aussi sa recette plus loin) ». Il y apprend les goûts et les rudiments d’un métier qu’a priori il n’a pas choisi mais qui, au fur et à mesure qu’il l’appréhende, lui apparaît essentiel : une vocation évidente, un destin auquel l’immense et indéfectible amour maternel a toujours cru : « Maîtresse-femme, féministe avant l’heure, pas commode du tout mais dotée d’un culot redoutable », Pierrette Sarran s’enhardit au point de solliciter une rencontre avec l’étoile montante Alain Ducasse alors en poste au « Juana » à Juan-les-Pins. Certaine du potentiel de son gâte sauce adoré, elle lui vante ses mérites. Un brin sceptique autant qu’amusé, le chef célèbre se laisse convaincre et prend en stage ce quasi autodidacte. Une révélation : « J’ai découvert que la cuisine pouvait être un moyen d’expression, mais j’ai dû apprendre aussi le vocabulaire ». Des années de labeur intense pour une histoire qui s’écrit aux « Prés d’Eugénie » chez Michel Guérard, à « La Côte Saint-Jacques » chez Jean-Michel Lorrain, à « La Pinède » à Saint-Tropez où il endosse le titre de chef… et toujours plus haut jusqu’à la direction du « Mas du Langoustier » à Porquerolles où, jeune trentenaire, il décroche en 91 sa première étoile. En 1995, enfin, c’est l’ouverture à Toulouse de son restaurant éponyme, au plus près de ses racines.

Aujourd’hui, l’intimité chaleureuse d’une belle maison bourgeoise accueille à chaque service une petite cinquantaine de privilégiés venus se régaler. Au rez-de-chaussée s’ouvrant aux beaux jours sur un jardin intérieur, l’ensemble gris perle se ponctue élégamment de tonalités plus ensoleillées. Quelques touches contemporaines audacieuses et libres de conventions, des tableaux de Robert Combas, une compression de couteaux par César… exaltent un luxe discret et paisible. A l’étage, magnifiant la brique et les matières brutes du mobilier signé Sarran (le petit frère), le décor proche de l’épure rappelle la gastronomie du chef toute en authenticité, raffinement, saveurs et… modernité. Une cuisine crânement terroir avec du goût décliné dans des plats devenus incontournables, comme le « foie gras de canard de la ferme en soupe tiède à l’huître de Belon » ou les « haricots tarbais en mousse légère au vieux rhum, lait de coco et marrons glacés  (voir la recette plus loin)» judicieusement titillés de saveurs d’ailleurs découvertes au cours d’escapades lointaines. Car si la création de plats reste sa passion première, ce patron de PME (une trentaine de personnes) à l’emploi du temps surchargé (outre son restaurant éponyme, il est aussi consultant pour le FNTP, pour le groupe Elior, au restaurant Vip d’Airbus…) trouve des parenthèses pour jouer au rugby, n’être plus personne sur sa Harley Davidson, écrire des livres de recettes, faire la fête avec les copains et même apprendre à piloter pour bientôt se rendre d’un coup d’aile dans sa maison refuge à Ibiza et pourquoi pas, peut-être refaire de la télé ? Et de rendre hommage au professionnalisme de ses équipes fidélisées (son second a vingt-deux ans d’ancienneté et son maître d’hôtel vingt !) : « Ils assurent les arrières selon ma devise DRH (Discipline, Rigueur, Humilité) ».

Sa transmission

Privilège de l’âge (même s’il ne compte que 54 ans), pléthore de disciples se sont succédé à ses fourneaux. Volant de leurs propres ailes, ils ouvrent les leurs, ce qui réjouit beaucoup le mentor ! A Toulouse, « Solides Monsieur Marius », les « Petits Fayots », à Barcelone, un de ses anciens aujourd’hui étoilé Romain Fornell, Toulousain d’origine l’a sollicité pour ouvrir le « Café Emma » (prénom de sa fille aînée), un bistrot ouvert non stop de huit heures à minuit qui propose à prix doux de bons et généreux plats canailles autour des huîtres, foie gras, confits, fromages… Bar en zinc, banquettes, terrasse, clarté, simplicité, convivialité… Et ça marche, le « Café Emma » a le vent en poupe ! Un hommage à sa transmission et un encouragement à la diversification.

PAR MARIE-JOSé COLOMBANI

 

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