Moscou La Rouge

Même si la cité cultive les vestiges de son passé, l’ex empire communiste nouvellement ouvert aux marchés mondiaux fait allégeance au billet vert. Le capitalisme balbutiant n’en finit plus d’induire pour chacun l’aspiration au « rêve américain ». Aujourd’hui, bridée trop longtemps, Moscou la rouge aux mille coupoles, avide de liberté, de luxe et de nouveautés vibrionne au rythme de sa nouvelle révolution .

Et tout ramène à Moscou, en particulier les évènements sportifs de haute volée à l’image du Dakar, qui drainent les foules. Une aubaine que les dirigeants en place s’empressent de plébisciter car ils y voient une formidable occasion de promouvoir le pays tout entier. Ainsi du Silk Way Rally dont cette 3ème édition 2011 a joui d’une couverture médiatique étendue à 190 pays ! Poutine lui-même s’en est réjoui en honorant de sa présence une des 7 étapes dont le départ, tout seigneur, tout honneur, a eu lieu bien évidemment de la place Rouge. L’impressionnante esplanade est cernée au Sud par l’enceinte ocrée et crénelée du Kremlin, au Nord par le Goum : un ensemble de magasins haut de gamme, à ses extrémités Ouest et Est par le Musée d’Histoire et la Basilique de Basile le Bienheureux. Cette dernière qui fête ses 450 ans offre une incroyable architecture de chapelles imbriquées mêlant styles Gothique et Renaissance. Kitchisisme à souhait avec ses extrémités truriformes, ses extravagants bulbes polychromés et ses couleurs tendres que l’on l’imagine sorti d’un conte d’Andersen, et pourtant, à l’image de la Tour Eiffel pour Paris, elle est devenue le symbole moscovite par excellence identifiant du même coup cette Place Rouge pour l’heure illuminée et foisonnante d’une foule curieuse et admirative massée autour des 105 voitures et des 35 camions fièrement exposés.

Les quelques 700 engagés et assistants qui déambulent reçoivent les encouragements d’un public toujours plus enthousiaste avide de vitesse, de chrome rutilant et de bruit. Autour de ce fantastique show mécanique ; un immense concert, les artistes du Théâtre du Bolchoï, le chœur du centre culturel tartare et la compagnie des tambours « Hammers » font s’entrechoquer sport et culture et vibrer les spectateurs. Les plus audacieux s’enhardissent même à tester « virtuellement » les affres du volant sur l’un des nombreux simulateurs de compétition. Un évènementiel tonitruant dans un décor grandiose à la mesure de l’engouement pour ce rallye dont les concurrents anticipent déjà les aléas des 3891 km de course jusqu’à Sotchi, prochaine ville des J0 d’Hiver 2014. Et pour appréhender déjà le thème de l’olympisme cher aux autochtones, c’est au sein même du Stade Olympique Luzhniki, l’épicentre fameux des Jeux de 1980 que les véhicules ont été minutieusement préparés.

Pour notre part, restons découvrir Moscou. C’est en 1147 que le Grand-Prince Iouri Dolgorouki, fit construire sur une colline dominant les rivières Moskva et Neglinaya, une résidence de chasse qui grâce à sa situation stratégique, fut rapidement transformée en une imposante ville fortifiée, ou « Kremlin » au point de devenir en un siècle seulement une principauté indépendante au sein de l’empire mongol. Avec Ivan III le Grand, la loi moscovite s’étendit dès 1480 à l’ensemble de la Russie et le Kremlin, désormais centre du pouvoir russe, connut une grande magnificence. Derrière ses murs de pierre crénelés apparaissait déjà la Cathédrale de l’Assomption commandée par Ivan III le Grand (époque de la Renaissance oblige) à l’italien Fioravanti. Ivan étant si satisfait de ce chef-d’œuvre regorgeant de fresques, d’ icônes et d’or qu’il jeta l’artiste en prison lorsque celui-ci demanda à rentrer chez lui. La cathédrale entra dans l’histoire avant même que les peintures eurent le temps de sécher, puisque c’est sur ses marches qu’Ivan en un geste de défi déchira le traité obligeant le Prince de Moscou à payer un tribut aux Mongols. Tout au long des deux siècles suivants, le Kremlin fut le théâtre de l’histoire démesurée et parfois sanglante des Tsars jusqu’à ce que Pierre le Grand transfère la capitale à Saint-Petersbourg et n’entame alors son déclin. Moscou ne retrouva son rôle prééminent qu’avec l’Union Soviétique, lorsque les Bolcheviques en firent en 1918 à leur tour leur capitale.

En fait de nos jours, le Kremlin reste la forteresse mythique de la Russie, une ville à part entière, avec ses palais, ses arsenaux et ses églises, un château médiéval qui relie le pays moderne à son passé légendaire. Même si la période des soviets a laissé des traces au Kremlin, la vieille citadelle a su conserver l’atmosphère qui a présidé à la naissance de la Russie Tsariste. C’est le cas de la Place des Cathédrales, première grande place publique où de manière perceptible les esprits d’Ivan le Terrible (dont l’église de la Domination abrite le trône et les tombes de certains Tsars), de Boris Godounov et des premiers Romanov errent encore, alors que les âmes de Staline et de Lénine ont déserté l’endroit depuis longtemps. Dominant non seulement la Place mais également tout le Kremlin, le clocher doré d’Ivan-le-Terrible haut de 80 mètres a longtemps été la construction la plus haute de Russie. Le beffroi voisin abrite la Cloche de la Résurrection du XIXème pesant 64 tonnes, alors que le Roi des canons et la Reine des cloches les plus gros spécimens mondiaux de leur catégorie sont ici, mais… n’ont jamais servi ! Le premier lourd de 40 tonnes, construit sous Fiodor, le fils niais d’Yvan-le-Terrible devait repousser les ennemis avec des projectiles… de la taille d’un tonneau ! Avec ses 200 tonnes, la Reine des Cloches n’a jamais sonné. Brisée en 1737 lors de sa cuisson, elle fut amenée un siècle plus tard. A son côté, le « petit morceau détaché » pèse quant à lui 11 tonnes !

L’Arsenal construit sur l’ordre de Pierre-le-Grand pour servir de dépôt et de fabrique d’armes est aujourd’hui le quartier général de la Garde du Kremlin. On s’y
photographie juché sur les canons abandonnés de la Grande Armée Française après la pitoyable retraite de Napoléon. Quant à l’élégant bâtiment néoclassique du Sénatcommandé par la Grande Catherine, on le connaît pour avoir servi de bureau à Lénine après la Révolution. Récemment restauré, c’est actuellement la résidence très officielle du Président Russe Medvedev. Cocorico, c’est Jérôme Rigaud, un jeune chef français de 33 ans originaire de Perpignan qui officie aux fourneaux !. Il y reçoit avec talent les grands de ce monde ! A l’occasion du « Salon de la Gastronomie de Moscou », l’association « Les Toques Blanches du Monde » présidée par Christophe Marguin lui ont d’ailleurs remis son diplôme d’honneur.

Bâtiment le plus récent, le palais de verre édifié aux heures de gloire de Khrouchtchev pour les congrès du Parti illustre le style grandiloquent de l’époque. Sa salle principale se dote d’un colossal auditorium de 6.000 places. La scène était surmontée d’un bas-relief monumental de la tête de Lénine entourée de rayons dorés. Aujourd’hui, le palais abrite des représentations de la Compagnie de Ballet du Kremlin et la bonne vieille tête de Lénine a disparu. L’un des symboles de l’ère communiste, l’université de Moscou figure de prou de la science russe, domine la ville depuis le Mont des Moineaux (ex-Mont Lénine).

Colossale, elle accueille au sein de ses 1000 bâtiments répartis sur un écrin de verdure de 600 ha, plus de 40.000 étudiants, dont 5000 viennent de 80 pays. Majestueuse, sa structure principale fait partie des sept gratte-ciels construits à Moscou pour la commémoration des 800 ans de la ville. Leur amalgame pointu de style baroque russe et gothique typique de l’époque stalinienne est connu sous le nom « des 7 hermanas (soeurs) de Staline ». Capitale oblige, les artères qui descendent
vers le centre sont vites encombrées de véhicules où belles berlines et puissants Quatre/Quatre sont légions. Nous voici au coeur d’un des royaumes où les « nouveaux riches » dépensent un argent nouvellement et prestement gagné. Les derniers gadgets toujours coûteux font florès tout comme la pléthore incroyable de beautés longilignes à la peau de porcelaine, blonde comme Marilyn, croulant sous les paquets qu’elles lancent négligemment dans la Ferrari qui, moteur vrombissant, les attend. Elles sortent en habituées de magasins siglés Dior, Chanel et autre Gucci. Pour rejoindre un de ces restaurants de luxe tel la dernière coqueluche: « les Menus » cornaqué par le français Pierre Gagnaire qui épure délicatement la gastronomie russe quand ce n’est pas, encore plus in, le gigantesque Mc Donald’s qui ne désemplit pas, les étudiants eux y laissent leur bourse mensuelle pour un repas. Ou encore l’étonnant Café Pouchkine décoré du plus pur XVIIIème siècle (en réalité mais chut ! datant de 1990 !).

Plus que jamais pourtant, au son mélodieux de la harpe, on y déguste, histoire de s’encanailler, le Kvas, une boisson populaire à base de pain noir fermenté et surtout les incontournables qui ont fait la glorieuse tradition Russe : le caviar sans parcimonie, le bœuf Strogonoff, le champagne de Crimée et le célèbre chocolat ! Autre rue prisée : l’Arabat. Il n’y a pas si longtemps ce quartier choisi par la noblesse et la bourgeoisie fortunée a entamé sa mutation piétonnière, un brin bohème, chic et décalée à la fois, elle a actuellement le vent en poupe. Les touristes s’y précipitent pour ses magasins de fringues, ses trottoirs encombrés de mini drugstore débordants de vodkas russes et importées, d’étals de parfums de Paris hors de prix. Bonnets ou fourrures bon marché se marchandent dans la bonne humeur au son d’un rapp effréné ou de guitares nostalgiques ; des babouchkas souriantes et édentées font la manche.

Quelques vieux bolcheviques sectaires, nouveaux rambos slaves agitent les portraits de gloire passée en une nébuleuse passéiste et bruyamment alcoolisée, tandis que des adeptes de Krishnas hiératiques dansent pieds nus, Bardés d’iphone dernier cri des jeunes accessoirisés Cartier ou Hermès se déhanchent nonchalamment en rejoignant leurs puissantes bagnoles. Ils dédaignent la queue qui s’allonge devant chez « My My and Russian Pancake », que se vante dans sa chaîne à l’américaine comptant 15 établissements de proposer les meilleurs « spice ribs » et les plus gros pancakes de toute la ville. Il est temps peut être de penser au bien être du corps en rejoignant « Sandunovski », le plus ancien et le plus spectaculaire des établissements de bains qui s’érige tout prés du Métro Kuznetsky Most. Construit en 1890 pour la noblesse, il a été rétabli en 1992 dans sa splendeur originale et suscite toujours autant d’engouements de la part de le nouvelle oligarchie roturière.Comme autrefois Tolstoï, on s’y flagelle avec de fines lattes de bois, on plonge dans l’eau bouillante ou glacée avant de se faire masser voluptueusement. Et comme autrefois l’établissement thermal continue de pratiquer des entrées distinctes pour les hommes et les femmes.

Ce n’est pas le cas en plein centre ville de la cathédrale orthodoxe la plus grande du monde, celle du Christ Rédempteur. Détruite par Staline, surmontée de belles coupoles dorées, elle a été admirablement rebâtie en marbre en 1990. Quant au couvent Novodievitchi le plus connu de Moscou érigé entre le XVI ème et XVII ème et magnifiquement conservé, il est représentatif du baroque moscovite. Encore exclusivement féminin il a logé de nombreuses aristocrates, dont la première femme de Pierre le Grand. Sa cathédrale Notre-Dame de Smolensk avec ses bulbes et ses croix haubannées renferme les icônes et les fresques parmi les plus belles du pays. Son parc fleuri respire la sérénité et dans son cimetière dorment entre autres de leur dernier sommeil, Tchekhov, Gogol ou …Khrouchtchev. Un tour en bateau sur la Moskova propose une merveilleuse promenade qui longe ce monastère, le très vert Parc Gorki et au loin, le magnifique Kremlin. Les bâteaux partent toutes les 20 minutes du débarcadère situé près du luxueux Hôtel « Radisson Blue », l’ex Hôtel « Ukrania (un autre des sept soeurs ) à la station de métro Kievskaia. Le Métro de Moscou, quelle merveille ! Deuxième au monde après Tokyo pour la fréquentation et l’efficacité, respectant scrupuleusement la structure circulaire de la ville, il est renommé pour sa profondeur et surtout la beauté propre et unique de ses très nombreuses stations, les si bien surnommées : « palais souterrains ». Riches en ornements, reflet époustouflant de l’art du réalisme socialiste, chaque arrêt à sa façon exalte labeur et combats des paysans et des ouvriers. Rien n’a été trop beau : marbre, bronze, bois précieux aux mains des architectes et artisans les plus habiles. Aux prix de souffrances infinies, ils ont offert à ces constructions débutées en 1931 de somptueux décors criants de vérité. Ainsi de Komsomolskaya un hymne aux soldats et à la bravoure qui utilise des techniques byzantines pour ses sujets historiques ou bien Ploshad Revolutsia qui expose 76 statues de bronze autant de sublimes représentations du peuple et de l’âme russe.

 

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